Lors de mon dernier stage à Bruxelles, j’ai eu la chance d’être hébergé chez Isabel et Franck. Elle m’avait dit « c’est un habitat partagé, dans la banlieue de Bruxelles, tu auras la chambre d’amis, un truc simple ». En réalité, j’ai été ébloui et séduit pour les quelques heures que j’ai séjourné là-bas.
Ca commence dès le Vendredi soir. Nous arrivons à la Grande Cense à Clabecq sur le coup de 20h. Elle hèle Max qui passait sur la terrasse avec un carton: « Hé Max, ça y est! C’est fait ». Elle parlait de la présentation de sa thèse. Et lui tout heureux, il dépose gaiement son carton et nous accueille. Dans les 10 mins qui ont suivi, j’ai salué le jeune ado Gwen, une jeune discrète avec son chat, en tout presque 5 habitants du lieu. Ca a suffit à complètement m’enthousiasmer. Non seulement un lieu, mais également des relations!
La Grande Cense (cense: ferme, en français ancien), est une ancienne ferme située dans la commune de Clabecq, à 25km de Bruxelles. Elle a été rachetée à l’état de ruines en 2008 par les porteurs du projet. De la sueur et des heures. Aujourd’hui, le lieu abrite une quarantaines d’appartements autour de la binekoer, la cour intérieure de quelques 400m².
Des lieux et des temps pour vivre le commun
Un des 5 bâtiments est affectueusement appelé la commonhouse, la maison commune. Il s’agit d’un gigantesque bâti sur 3 niveaux. Il abrite une immense salle de réception, qui a servi de restaurant par le passé, la cuisine pro est encore installéee. Aujourd’hui elle sert pour les réunions, les fêtes, et tout ce qu’on veut. Il y a 2 immenses salles de jeux pour les enfants, de la taille de ce que tu peux trouver dans une école; franchement ça donnait envie de redevenir enfant juste pour jouer là. Il y a également 2 appartements, un atelier pour les créatifs, et…les chambres d’amis en haut sous les pentes. Le matin je pouvais contempler les rayons du soleil levant droit devant par le vélux.
C’est peut-être un détail pour vous: jouxtant la commonhouse, il y a la wasskot: la buanderie. Equipée de machines à laver et sèche linge, partagée. Il y a juste à mettre sa lessive préférée et c’est parti!
Ils ont leurs rituels dans le mois, avec des réunions de réflexion et décisions pour la communauté, des journées de chantier, et des fêtes. Le jour de mon départ, avait lieu une fête surprise pour les 40 ans d’un gars, avec parcours à vélo et repas commun préparé par 4 habitants volontaires. La veille, le samedi, c’était la journée travaux du mois, où ils ont pu nettoyer le bassin de baignade entre autres.
La terrasse de la commonhouse.
Connecté au monde
Ils sont normaux, je vous dis, avec l’électricité et internet. La ferme est située à 2km d’une gare, ce qui les met à 20 mins de la gare du midi. Et pour les afficionados du tout vélo, l’on peut aller à Bruxelles en suivant les berges du canal aménagé: yakarouler. J’ai appris que Gwen qu’on a salué le premier soir est un jeune ado qui a grandi là, et qui étudie désormais dans une école d’art à Bruxelles. Il dort à l’internat la semaine et il rentre chez lui le weekend, comme un grand; train bus et hop, vendredi 20h il est à la maison. Et il y en a qui ont des voitures: ils sont normaux je vous dit.
Décider ensemble
Les décisions pour les espaces collectifs sont prises par consentement. Ca veux dire qu’il faut se mettre d’accord sur ce qu’on va faire. Tant que subsiste un refus, le projet ne peut être validé. Mes amis trouvent que ça prend du temps, parfois beaucoup de temps pour arriver à mettre tout le monde d’accord. Et moi je leur fait remarquer « et pourtant vous y arrivez! ». Pendant que j’étais là, la binekoer était balisée parce qu’ils venaient d’installer 3 nouvelles cuves de collecte d’eau de pluie, portant leur capacité à 80000 litres. Et quand tu sais que tous leur toilettes sont flushés à l’eau de pluie, il y a de quoi triper.
C’est d’autant plus époustouflant que personne ne choisit les nouveaux arrivants. Chacun étant propriétaire de son appartement, quand il y a un souhait de départ, il s’agit grossomodo d’une libre transaction entre vendeur et acheteur, sans possibilité de préemption par le collectif. En fait, ils « accueillent » qui que ce soit que la nature leur envoie. Et il faut intégrer ces personnes dans le processus de décisions, sans les avoir choisies pour leur bon caractère. C’est absolument fabuleux. L’entresoi est impossible. Et ils sont ainsi dans un laboratoire d’affinage qui sort des projets nourris par de multiples angles de vue. Fantastiques.
Les habitants sont d’horizons différents, des langues et des croyances multiples, des personnalités extra et introverties, des sensibilités écologiques différentes, des statuts vaccinal (ca se dit ça?) différents, et ils sont là à habiter ensemble! Franck le conjoint d’Isabel, nous racontait comment le fils de la voisine du dessous, une mamie de nonante (90) ans, l’avait appelé lui pour prendre des nouvelles sur l’état de sa mère. J’étais scié par autant de diversité, y compris dans les âges. Des enfants vont courant partout, des travailleurs vont en ville, des retraités prennent leur temps et tout le monde accompagne les mamies.
Mon fils m’a demandé: et il y a un boss? Non, et c’est ça qui est fou. Ils se mettent d’accord, ils se mettent ensemble pour faire fonctionner leur affaire. La complexité est conséquente. Une 40 aine de logements, de foyers, qui ont tous leur mot à dire dans les choix de la communauté. Et ils y arrivent! Mes amis sont arrivés dans la ferme en 2020. Ca fait 14 ans que le lieu existe, avec des départs et des arrivées, et ça continue avec autant d’énergie.
Et si c’était à refaire
Se frotter aux autres pour décider ça demande de l’énergie et du temps. C’est parfois (souvent) frustrant. Cela peut être aidé par des outils de gouvernance partagée, mais ca reste quand même éprouvant pour le fonctionnement humain traditionnel. Alors j’ai demandé à mes amis: Et si c’était à refaire, vous le referiez?
Ils ont réfléchi quelque instants en silence, chacun pour sa part. Ils se sont regardés, et ils ont répondu Oui!
Voilà.
Je dois quand même vous parler du jardin. Les bâtiments sont rassemblés autour de la binekoer sur presque 400m². Le terrain fait lui 1.5ha. Qu’ont-ils fait du reste? Un bassin de baignade, un espace potager avec des parcelles individuelles et collectives, un verger, une cabane dans un vrai arbre. Je suis là sur un banc. Ma fille a cru que j’étais allé me promener au parc. En fait j’avais juste descendu les escaliers.
Pour une visite virtuelle, voici un reportage vidéo de 2016 par tvcom.
En attendant d’avoir une buanderie commune dans ma rue, je vais commencer par rendre hommage à tout.e.s celles et ceux qui, en collectif, organisent la fête des voisins, qui plantent des arbres sur les trottoirs, à tous les givré.e.s. Salud!