Beurre, Gazinière et Illumination
Il y a 10 jours, pris par un élan de je ne sais quoi, je me suis lancé dans du Ghee. Je me suis rincé les mains (very important!). J’ai pris 1kg de beurre du supermarché du coin, coupé en morceaux, le tout dans la casserole et j’ai allumé le plus petit feu de ma gazinière à sa plus petite puissance. 2h plus tard, j’ai versé mon butin dans des pots: le beurre clarifié, le ghee! En 2h de temps, j’ai vécu la métaphore d’une vie de Yoga. Une transe. Ou une transformation. Mais quel est le rapport entre le beurre et le Yoga? C’est moi! Comment ça? Et bien voyons!
La recette
Vous pouvez trouver des recettes de beurre clarifié ou de ghee à foison sur la toile. Ici, ou ici, ou encore ici. Et je suppose que comme la tarte aux pommes, vous pouvez ajouter vos variantes. Je vous laisse voir les recettes. Je vous embarque avec moi pour visiter un peu de ce que j’ai vécu pendant ces 2 heures.
Le processus: Successions d’états, par la chaleur emmagasinée
J’ai allumé le feu le plus bas possible, sur le foyer le plus petit. « Comme si que » rien ne devait se passer. Et pourtant après quelques minutes, les morceaux de beurre ont fondu. C’est devenu de la crème. Le feu est resté bas. Et pourtant la crème a continué de se transformer. Jusqu’à devenir de l’huile.
La matière a reçu l’énergie, la chaleur du feu. Et à chaque instant qui passait, elle recevait une nouvelle dose de chaleur, et encore une, et encore une. Au bout d’un moment ça fait un petit paquet de chaleur et le beurre frais devint un liquide bouillant. Comme si on n’avait fait aucun effort.
D’un instant à l’autre, on dirait que rien ne se passe. Mais entre 2 heures, il est passé par 5 états différents pour atteindre son état de raffinement ultime.
Si je regarde à la loupe, comparant la semaine dernière à cette semaine, il n’y a pas forcément d’évolution de changement dans ma vie. Mais sur la durée, entre il y a 5 ans et maintenant, c’est criard. Et même entre il y a 2 ans et maintenant je « vois » une différence. Alors je continue de laisser la matière sur le feu. Je laisse la transformation se faire.
Le processus: la désagrégation
Le beurre a fondu puis s’est liquéfié. De l’écume fine a commencé à apparaître. Et puis des glouglous. Une motte de matière jaillit du fond de la casserole. Elle reste à la surface quelques instants. On dirait qu’elle se débat. Et puis je vois une partie rejoindre l’écume et une partie tomber au fond. Et puis un autre glouglou apparaît. Et ça a duré quelques temps. Je mettais l’écume dans un bol à côté au fur et à mesure.
Soit dit en passant. Je l’enlevais nonchalamment au fur et à mesure, comme si j’enlevais de l’air, comme si ça n’avait pas d’importance, comme si j’enlevais rien. Et pourtant! Au bout de quelques minutes j’avais la moitié d’un bol. J’ai appris plus tard que cette écume c’est la caséine, une protéine du lait.
Quand plus rien ne se passait dans la casserole j’ai arrêté le feu. En faisant le bilan, le beurre, la matière homogène que j’ai connu au départ, mon beurre si familier et tant aimé, se retrouve décomposé en 4 matières distinctes: l’eau qui s’est évaporée pendant l’ébullition, la caséine, l’écume sur le dessus (qui m’a finalement rempli 2 bols!), le ghee ou beurre clarifié, et le lactosérum au fond du pot.
En langage chimique, on dirait que l’agité a laissé place au précipité. En parlance mindfulness, on dirait que la confusion a mué en clarté et on peut alors voir ce qu’il y a, ce qui compose la situation. Et vient alors l’heure de la purification.
Le processus: la discrimination, le choix, la filtration: la purification
Alors, quand les composants sont enfin révélés, finalement mis à nu, je peux faire un choix. Je peux identifier ceux qui sont favorables à mon alimentation et ceux qui ne le sont pas. Et je peux choisir! Choisir de séparer le périssable de l’impérissable, l’impermanent de l’impermanent.
La transformation révèle le produit principal et 3 sous-produits. Dans le cas de mon beurre, l’eau c’était évaporée. La caséine est une protéine qui a un lointain goût de mayo. j’en ai mangé un peu comme une tapenade, avec des cracottes. Idem pour le lactosérum qui était au fond. Il paraît que les gars (et les filles) qui font de la muscu prennent des comprimés de caséine pour aider à faire gonfler les muscles. Et il paraît aussi que nos amis intolérants au lait animal sont en fait intolérant aux protéines lactose et caséine. Avec le processus de clarification, chacun a le choix de faire ce qu’il veut avec les sous-produits.
Le dernier composant, le produit principal, le fruit est le ghee. Le feu est éteint. On a quasiment terminé. Reste une dernière étape. Filtrer. Je passe le ghee à travers un linge en cotton. Un fin chinois ferait l’affaire. Les dernières particules de je ne sais quoi, poussières ou autres, sont alors retenues par le filtre.
Reste alors le ghee, liquide brun doré, le lingot d’or. Il a plutôt une nature stable. Certes au repos il va se solidifier, mais sa nature ne change plus. Il ne se dégrade pas. Il n’a pas besoin de frigo. Et se conserve des mois et des mois à l’abri de la chaleur et de la lumière. Un peu comme le miel, il a atteint au stade du raffinement. Quand il est absorbé par le corps, il se diffuse sans encombre dans les tissus profonds, son assimilation est disons, lubrifiée.
Le processus: la vitesse
Peu importe quand ça finira. Ca prendra le temps qu’il faudra.
J’ai terminé ma préparation en deux heures. 2h debout a surveiller ma casserole. Parfois il ne passait rien de spectaculaire. Parfois ça allait très vite. Et toujours, il fallait être là, attentif. Parfois j’étais émerveillé. Parfois j’avais mal aux jambes. Et toujours j’étais là.
Peut-être qu’il aurait suffit d’augmenter le feu pour que ça aille plus vite. En musique, je n’essaie pas d’aller le plus vite possible. J’essaie de déguster la musique. Dans cette méditation, le temps n’est pas une limite, c’est un cadeau. Parce que peut-être que c’est lentement, lentement, que l’énergie du feu peu s’insinuer dans les profondeurs de la matière et la toucher au coeur, en ce qu’elle a de plus en intime. Pour révéler ce qu’elle a de meilleur.
On peut aller vite si on veut. On obtient du fast-food. On peut aller lentement et toucher les profondeurs. Peut être vous avez déjà essayé un pot au feu? Au goût, vous pouvez comprendre la notion de plat mijoté.
Le processus: La patience et le contentement.
Alors pendant 2h il faut être patient. Et le contentement ça aide. Je peux être en haleine en attendant la fin du processus. Mais vu que c’est long, je risque de m’étouffer avant la fin. L’alternative, c’est d’essayer d’être si ce n’est heureux, peut être en paix pendant le processus. Je me suis étiré les jambes quand j’avais besoin. J’ai contemplé la transformation quand je pouvais. Et parfois j’ai ressassé des pensées positives, pour peut-être en imprégner mon ghee.
Finalement c’est comme l’alchimiste de Coelho. Tandis que le plomb dans la casserole se transforme en or, l’alchimiste lui aussi transforme son coeur.
Le processus: le feu. continu. Ni trop fort. Ni trop faible.
J’ai utilisé un feux doux, pour que la transformation prenne le temps de se faire, en profondeur. Et parfois même j’ai mis la casserole hors du feu quelques instants pour diminuer les apports en chaleur. Parfois il faut augmenter les apports en chaleur. Et toujours cette idée, de contrôler le feu! Entretenir la flamme. Envers et contre tout. Dans les temps d’enthousiasme, comme d’ennui, en période d’énergie comme en temps de fatigue. Contre la somnolence et envers les sollicitations sociales, entretenir la flamme. Non point une flamme qui carbonise le contenu de la casserole, non. Juste une chaleur adaptée à la matière sur le feu. Pour que toujours la matière ait le temps d’assimiler l’énergie, et que l’énergie ait le temps de transformer la matière.
Et dans notre époque ultra speed, ou mails et réseaux sociaux vont de plus en vite, savoir réduire le feu est d’une importance vitale. Sentir quand c’est trop chaud, avant que ça ne commence à brûler et à se détruire, baisser le feu, ou même retirer du feu. Les Yogis pratiquent Savasanas. La posture d’immobilité ou l’on cultive le lâcher-prise, le non-agir et la régénération. C’est pour cela que le Restorative Yoga est si important pour notre temps. Pratiquez chez-vous et venez nous rendre visite à un de nos prochains ateliers.
Un dernier mot sur le feu. Le feu c’est la pratique, ce que nous avons choisi de pratiquer de façon consciente. Il existe plusieurs types de feu: électrique, gaz, bois, soleil,… De même, la pratique peut avoir différentes formes: méditation assise, respiration et pranayama, mantras et dévotion, asanas, kriyas et nettoyages, jardinage ou marche. Du moment que je suis conscient, je médite. Le feu c’est la pratique. Gardez le feu en vie.
Pepite et Lingot
Quand j’ai versé le liquide doré dans les pots, j’ai su que j’avais réussi. Que je versais un trésor dans le pot. C’était probablement le meilleur ghee du monde. Je l’adore! Il agrémente chacun de mes repas, et même mon verre de lait quotidien. J’ai donné un pot de mon trésor à mon ami David. Ma fille est devenue adepte. Je kiffe mon ghee. C’est le meilleur du monde.
Je sais aussi que le ghee était dans le beurre depuis le début. Comme une image de moi. Alors je continue de pratiquer, patiemment, jour après jour, et je laisse l’énergie du feu faire son oeuvre de transformation.
Je vous souhaite d’allumer et d’entretenir le feu mes amis, de mettre votre soi dans la casserole et de filtrer votre trésor à la fin. Moi je vous laisse, j’ai du ghee a préparer. Oui parce que la précédente fournée est quasi épuisée.
Top. Merci. Le temps et la patience. Tant que le processus continue, l’espérance d’atteindre le but demeure.